mon appropriation de la pierre
Mon appropriation de la pierre,
Je dispose dans ma "maisonAtelier" de Normandie de nombreux ouvrages sur les arbres, les essences, les sculpteurs, les techniques de sculpture sur bois et sur pierre, les outils nécessaires et leur affutage, etc. J'étais donc informé depuis de nombreuses années de la taille de la pierre et c'est sans doute là, dans ces livres, que l'idée est venue, très doucement... Par ailleurs j'aime flâner dans les musées présentant de façon permanente ou temporaire les oeuvres de nos grands sculpteurs comme Rodin, Bourdelle, Mayol. J'aime voir les thèmes qu'ils ont retenus et les comparer aux miens (par exemple, ces trois artistes ont sculpté leurs mains, comme je l'ai fait à plusieurs reprises moi-même). Comme je sculpte dorénavant aussi des corps, je compare les poses qu'ils ont demandées à leur modèle avec celles que j'imagine et conçois patiemment à partir de photos. Dans ces musées, ce sont leurs oeuvres en pierre que j'admire, plus que leurs oeuvres en bronze que je sais être passées par une étape de modelage. Pour moi la sculpture sur pierre et sur bois, toutes deux réaliséees de façon uniquement soustractive, restent le sommum de l'art. Voilà pour le contexte qui m'a amené à ce que je veux vous raconter aujourd'hui. Cependant de l'idée de sculpter la pierre à l'acte de la sculpter, il y a "le pas à franchir" et pour cela, il faut des circonstances particulières...
Une première fois, ces circonstances ont failli être réunies: en effet, Jacques, mon 'professeur' de bois s'est mis un beau jour à tailler la pierre, un peu en dilettante, mais il a proposé à ses élèves désireux de s'y essayer de l'accompagner. Je n'étais pas encore prêt, plongé dans la taille d'une sculpture complexe, en bois-de-bout 'le parapluie'; j'ai hésité et n'ai finalement pas retenu sa proposition. Jacques ne cherchait d'ailleurs pas non plus pas à se diversifier beaucoup dans cette discipline : notamment, il constatait que travailler la pierre produisait une poussière très importante, assez incompatible avec l'intérieur de son atelier. Mais l'idée était à nouveau là, plus proche de moi que jamais, il fallait seulement qu'elle murisse encore.
Bois-Guilbert, au Nord-Est de Rouen, est un lieu magique où j'aime me rendre. C'est un vaste parc que le sculpteur Jean-Marc de Pas développe progressivement avec son épouse: il l'a nommé "Le Jardin des Sculptures". Il a réalisé de nombreux bronzes pour des collectivités normandes, notamment les Explorateurs ornant le pont Boildieu de Rouen, ou encore le Loup au centre du carrefour à la sortie de Canteleu. A Bois-Guilbert il expose de façon permanente nombre de ses oeuvres, notamment la statue d'Antoine de Saint-Exupéry et dans la même allée ombragée, un ensemble de "reproductions" en bronze des dessins de l'auteur illustrant "Le petit Prince" : les différents mondes visités par le petit bonhomme dans sa quête poétique. Depuis très longtemps, à Bois-Guilbert, Jean-Marc donne des stages de modelage, mais ils ne m'ont jamais tenté. Par contre à l'été 2021 il a eu la bonne idée d'inviter des sculpteurs sur pierre chez lui pour proposer que son atelier soit le lieu de stages d'apprentissage à la sculpture de la pierre. J'étais prêt, mon attirance pour ce lieu a été le déclencheur, et je me suis inscrit: j'y ai vécu une très agréable découverte et les quelques jours passés en Septembre 2021 resteront pour moi un très bon souvenir.
J'ai plus qu'"accroché" au cours de ce stage, notamment grâce à la similitude des premiers gestes enseignés avec ceux du bois, mais aussi grâce au premier bloc de pierre que j'ai taillé : une pierre de Lens, un calcaire assez dur permettant aisément de produire des arêtes fines et galbées contrairement à d'autres calcaires plus friables. Je suis arrivé au stage sans a-priori, ni sur le type de pierre ni sur le motif (c'est d'ailleurs une rare fois où j'ai crée, sans avoir muri le sujet). Ma première sculpture sur pierre est née dans ce contexte. Elle s'appelle 'tourbillon Yin'. Souvenez-vous, je vous en ai envoyé une ou deux photos dans mon message de voeux en Janvier 2022.
Mais lors du stage la taille de cette sculpture n'était pas finie, et j'ai du m'équiper chez moi pour la terminer : l'achat de quelques outils spécifiques à la pierre a été aisée. J'ai d'ailleurs constaté que la pierre nécessite beaucoup moins d'outils que le bois, surtout en cintres différents pour les gouges; sinon, les outils sont assez similaires, sauf la gradine, sorte de ciseau denté permettant d'attaquer la pierre en créant des sillons parallèles friables. A noter aussi l'absence de burin (fer profilé en V), et surtout l'acier des ciseaux, très souvent au carbure ou au diamant pour éviter qu'ils s'émoussent trop vite.
Pour compléter l'outillage, à l'automne 2021 je me suis lancé dans la réalisation d'un établi d'extérieur repliable, à la fois très stable (pour rester immobile lors des coups sur la pierre) et très léger (pour son transport et son rangement). En effet, j'ai retenu dès mes débuts la leçon de Jacques : impossible de travailler la pierre en intérieur (trop de poussière!) L'établi de ma conception et de ma réalisation est constitué de quatre pieds de section 7x7cm en pin, articulés au sixième de leur hauteur sur un plateau en hêtre de 3cm d'épaisseur, et verrouillés à leur partie supérieure par une table sous laquelle le haut de chaque pied vient s'encastrer :ceci provoque un autoblocage de l'ensemble qui procure une forte stabilité. Je m'en suis servi en extérieur les derniers beaux jours de l'automne 2021 pour terminer le 'tourbillon Yin'.
L'année 2022 m'a surtout vu à la recherche de blocs de pierre sculptables. Je pense d'ailleurs ne pas avoir fait réellement le tour du sujet. La personne qui nous avait enseigné les rudiments de la sculpture sur pierre lors du stage à Bois Guilbert nous avait parlé de la stéatite comme une pierre aisée à sculpter, au fini très lisse une fois le polissage réalisé. Mais trouver de la stéatite en bloc de taille importante est quasiment impossible de nos jours. M'étant rapproché d'un sculpteur exposant dans les salons rouennais où j'interviens également, il m'a bien précisé que cette roche, trop exploitée, n'existe plus en France et qu'il faut se tourner vers l'étranger pour en trouver. J'ai quand même réussi à m'en procurer un bloc de 7,8 kg (12x10x8cm environ) dans Rouen.
Restait à trouver le sujet qui pourrait se loger dans ce bloc. J'ai donc modéliser ce bloc de pierre en CAO, et ai recherché dans mes dossiers CAO mes projets de sculpture qui pourraient venir se loger à l'intérieur de la matière, en ajustant éventuellement l'échelle. C'est ainsi qu'est née 'pensive', petite statuette en stéatite, ma deuxième réalisation en pierre. Je vous renvoie à la page qui la décrit plus en détail. Je l'ai terminée à l'été 2023, toujours en extérieur et en profitant des beaux jours d'été, pas trop chauds cette année en Normandie.
Je ne voudrais pas terminer cette page sans vous parler de ma visite à la Vallée des Saints en Juin 2023, à Carnoët, près de Carhaix au centre de la Bretagne. Il me semble que c'est là une entreprise à la hauteur de la Vallée des Rois en Egypte, quelque chose d'intemporel, une sorte de "création d'éternité", une entreprise qui nous dépasse tous, y compris ses instigateurs. C'est un chantier permanent, qui se complète de quelques statues monumentales en granit chaque année pour atteindre actuellement environ 150 statues granitiques éparpillées sur une colline donnant à perte de vue sur la campagne bretonne. Bravo à l'initiateur de ce projet, et aux soutiens qui lui ont permis d'aller jusqu'au bout : de l'idée à l'acte. Bravo aussi aux sculpteurs, que j'ai vu travailler masqués, dans des nuages de poussière, avec de nombreux outils mécaniques comme des marteaux-burineur, disqueuses-diamant, ponceuses, etc bien appropriés à la taille du granit. Je suis heureux d'en avoir ramené un petit morceau de granit bleuté dans laquelle Saint Deniel est en train d'être sculpté. Peut-être l'amorce de ma 3è sculpture en pierre ? Rendez-vous dans quelques mois ou années, peut-être ?...
Pour terminer, je veux ici témoigner de la matière "pierre" en quelques mots : comme pour les essences de bois, ce sont bien sûr une multitude de teintes, de densités, de nervures, de marbrures. Mais il y a plus : toucher une sculpture en pierre est pour moi une source d'émotion liée à sa fraîcheur : c'est une sensation toute nouvelle et je la retrouve chaque fois par exemple où je reprends en main 'pensive'. Enfin, il me semble que la pierre amène une plus forte variabilité que le bois dans la rugosité des sculptures, qui peut aller du plus gros grain comme sur les statues bretonnes, au plus lisse... qui est donc un nouveau paramètre sur lequel l'artiste peut aisément jouer.
posté le 04 Août 2023